mardi 5 juillet 2011

Faut-il mieux payer les patrons ? (Le Monde du 5.07.2012)


En France, les médias se sont émus que DSK ait emmené  pour sa première soirée d'homme libre sa femme et un couple d'amis dîner dans un restaurant new-yorkais pour un coût de 700 Dollars. Ils auraient pris des pâtes fraîches à la truffe !
Certes, pour le commun des mortels c'est une somme.

Mais soyons un peu sérieux. Vous savez ce qu'a gagné en 2010  Philippe Dauman, PDG du conglomérat américain Viacom (cinéma, télévision et câble, édition, communication) ?  84,5 millions de dollars (58,1 millions d'euros) ... De quoi  inviter sa femme et deux amis à déguster à des truffes chaque jour pendant 330 ans !

Le dernier rapport annuel d'Equilar, un cabinet d'études californien spécialisé dans les rémunérations des dirigeants d'entreprise, laisse pantois (www.equilar.com/ceo-compensation/2011/). Après Dauman, le numéro deux de la liste, Ray Irani (Occidental Petroleum), plafonne à 76,1 millions de dollars, le médaillé de bronze, Lawrence Ellison (Oracle, services informatiques), à 70,1. La liste n'est pas exhaustive ...Par ailleurs, certains ont aussi vu la valeur de leur portefeuille personnel d'actions de leur entreprise joliment bondir : + 6,5 milliards de dollars pour Warren Buffett, mythique propriétaire du fonds Berkshire Hathaway, + 3,5 milliards pour Jeff Bezos (Amazon).

Pour résumer, situés à 10,8 millions de dollars (7,4 millions d'euros), les émoluments médians des cadres dirigeants des 200 premières entreprises US ont augmenté de 23% en 2010 ...

À titre de comparaison : l'augmentation des bénéfices de leurs entreprises avoisine ce taux ; la rémunération de leurs actionnaires est respectable, bien que plus faible : 16 %. En revanche, les salaires des employés, eux, ont connu une progression identique à celle de la moyenne américaine : + 0,5 % sur un an ; soit, compte tenu de l'inflation, un recul de la rémunération de 1,1 %.

Pendant ce temps, l'Amérique paraît s'enfoncer dans la stagnation économique, y pointe un chômage structurel d'un type jusqu'ici inconnu : des familles de "nouveaux expulsés", différentes des victimes de la crise des subprimes, perdent chaque jour leur logis pour cause de perte préalable de leur emploi.

Certains n'hésitent pas à prédire une nouvelle crise financière.Comme en 2008-09, une infime minorité s'approprie l'essentiel des bénéfices et une immense majorité de salariés voit leur revenu moyen péricliter. D'où le gonflement constant du recours à l'emprunt, à commencer par celle de ménages moyens appauvris - qui finiront par ne plus pouvoir faire face à leurs emprunts.

Or, depuis crise, qu'ont fait ceux qui gouvernent le monde ? Rappelez-vous les G8 et G20 d'il y a deux ans : c'était haro sur les bonus, et pas seulement aux États-Unis. Comment réguler  les émoluments des patrons ? des traders ? On a eu droit à des paroles ronflantes (Sarkozy), à des promesses impossibles à tenir (Obama).

Ainsi dans le débat américain actuel sur la résorption des déficits, les républicains martèlent qu'il n'est pas question de relever le niveau d'imposition des 2 % les plus fortunés, qui n'a cessé de baisser sur la décennie. Motif invoqué : augmenter leur impôt sur le revenu aggraverait leur défiance, portant préjudice à l'investissement et à l'emploi.
Pourtant, la lecture du rapport Equilar devrait mettre fin à cet argument dérisoire. En 2010, les grands patrons ont gagné beaucoup plus, retrouvant généralement leurs gains d'avant la crise (pour contourner les nouvelles règles limitant leurs stock-options, la part en liquide de leurs émoluments a augmenté de 34 %). Pour autant, leurs entreprises, assises sur des montagnes de cash, n'investissent pas et n'embauchent pas plus. Cherchez l'erreur. C'est sans doute qu'ils ne sont pas encore assez rémunérés. En bonne logique, les plus ardents républicains proposent d'ailleurs d'abaisser plus encore le taux d'imposition du patron de Viacom et de ses semblables.

En France aussi, le Parlement a voté sans broncher  que 300 000 contribuables habituellement assujettis à l’ISF, soit plus de la moitié, en seront désormais exonérés et que les principaux bénéficiaires de la réforme de l’ISF seront précisément…les contribuables des deux dernières tranches, c'est-à-dire les 6000 individus ayant un patrimoine imposable supérieur à 7,5 millions € (publicsenat.fr)

Nous sommes loin du plat de nouilles payé 700 $ par DSK !


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