«Un peuple qui n'enseigne pas son
histoire est un peuple qui perd son identité "
François Mitterrand, 1982
Depuis 2008, dans les collèges, et 2011, dans les
Lycées, les nouveaux programmes en Histoire suscitent une certaine émotion.
L’historien Dimitri Casali en dénonce les dérives et le collectif « Notre Histoire forge notre
Avenir », mené par Benoît Crespin, multiplie les pétitions contre cette
«réforme».
Le programme de sixième passe sans transition de
l'Empire romain au IIIe siècle à l'empire de Charlemagne, soit une impasse de
six siècles. Les migrations des IVe et Ve siècles (les fameuses «invasions
barbares») ne sont plus évoquées. Pourquoi ? Il est pourtant intéressant
d'expliquer aux élèves qu'après plusieurs siècles d'infiltration à travers le
limes, au V° s., les "barbares" ont fait exploser l'Empire Romain
d'Occident.
Plus
un mot sur le partage de l'empire carolingien : veut-on occulter que le Traité
de Verdun (843) qui conditionne l’Histoire non seulement de la Francia
Occidentalis, mais de toute l’Europe occidentale, est une des causes –
lointaines - de l'antagonisme franco-germanique (pour aller vite) qui a duré
plus de 1250 ans ?
N'est plus étudiée non plus
la patiente construction de l'État français - qui s'étale sur plusieurs
siècles. Elle n'a pu être possible que par l'action des certains monarques (et
ministres) - comme Saint-Louis, Louis XI, François 1er, ou comme
Louis XIII (et Richelieu), Louis XIV - pour être achevée par la Révolution et
Napoléon 1er. Les nouveaux programmes «n’aiment pas» les "hommes
illustres" ! C'est dommage : les élèves ont toujours préféré une histoire faite de chair et de sang à une histoire
désincarnée ... Souvenons-nous de la page célèbre de Louis Guilloux (dans Le Sang noir), dans laquelle l'auteur
raconte avec émotion les moments merveilleux pendant lesquels "son"
maître d'école racontait l'histoire d'un de nos « grand » rois.
En cinquième, "Le Siècle
de Louis XIV" est relégué tout à
la fin d'un programme qui s'étend sur plus de mille ans, d'autant plus
qu'il est noyé dans un thème intitulé "l'émergence du roi absolu". Il
est vrai que dans le contexte actuel étudier le
rayonnement de la civilisation française, en France et à l'étranger, à la fin
du XVIIe et au début du XVIIIe siècle fait un peu désordre … Au final, c'est à peine si
les enfants à la fin de leur scolarité obligatoire (fin de la 3°), auront
entendu parler de Corneille, Racine, Molière, La Fontaine, Le Brun, Le Nôtre
etc ...
En revanche, Les
instructions officielles imposent l'étude de plusieurs civilisations
extra-européennes à certaines périodes:
- Au choix :«la Chine des
Hans à son apogée», c'est-à-dire sous le règne de l'empereur Wu (140-87 avant
J.-C.), ou «l'Inde classique aux IVe et Ve siècles», au sein de la partie
«Regards sur des mondes lointains» représentant 10 % du temps consacré à
l'Histoire de la classe de sixième ;
-
Au choix, l'empire du Ghana (VIIIe-XIIe siècles), l'empire du
Mali (XIIIe-XIVe siècles), l'empire Songhaï (XIIe-XVIe siècles) ou le
Monomotapa (XVe-XVIe siècles), au sein de la partie «Regards sur l'Afrique»
représentant 10 % du temps consacré à l'Histoire de la classe de cinquième. Cette partie comprend
l'étude de la naissance et du développement des traites négrières (traites
orientales et internes à l'Afrique noire).
La connaissance des
histoires de la Chine, de l'Inde ou de l'Afrique est importante et
passionnante. Il est regrettable cependant qu'il faille se contenter de les
survoler (10% du programme !) et ce au détriment de l'Histoire de France. Pour
bien faire, il faudrait allonger les horaires - au lieu de continuellement les
rogner …
Cette
décision officielle de l’Education nationale, qui date de 2008, a été prise au
nom de « l’ouverture aux autres civilisations de notre monde ».
Laurent Wirth, doyen du groupe histoire-géographie de l’inspection générale du
ministère, cite ainsi en exemple « de nombreux jeunes dans nos écoles qui
sont d’origine africaine : il faut aussi qu’ils se reconnaissent dans nos
programmes». Il est vrai, selon
une enquête de l'Ined (rapport «Trajectoires et origines», 2010), bien que de
nationalité française, 37 % des
jeunes d'origine étrangère ne se sentent pas français.
Donc, pour donner
satisfaction à certaines associations, il faudrait épouser la diversité
culturelle des élèves. Ce qui est contestable. En effet, c'est une porte
ouverte au communautarisme. De plus ce raisonnement risque d'aboutir à un
éparpillement des thèmes et des champs d'étude, rendant encore plus difficile
l'assimilation des connaissances ... La culture est la base de notre société et
cette culture est notamment fondée sur la connaissance de l'histoire du pays où
l'on vit, quelle que soit son origine géographique. Comme dit l'adage, on ne
comprend que ce que l'on connaît. «L'Histoire est une garantie d'intégration,
car elle est un moyen d'accéder aux modes de compréhension de notre société».
C’est Marc Bloch
qui a le mieux résumé la compréhension de l’Histoire de notre pays : "Il y a deux catégories d'hommes
qui ne comprendront jamais l'Histoire de France, ceux qui refusent de vibrer au souvenir du sacre de Reims;
ceux qui lisent sans émotion le récit
de la fête de la Fédération".
D’après les instructions officielles de
2010, après le Collège « les grands repères chronologiques étant fixés » (sic), l’enseignement de l’Histoire, au Lycée,
sera enfin débarrassé de ces dates qui encombrent la mémoire et nuisent à la
compréhension du fait historique dans sa totalité.
Vu les coupes sombres dans les programmes ou la longueur démesurée des
périodes survolées de la 6e à la 3e, il est faux de
prétendre que la chronologie est maîtrisée à l’entrée en 2e. Il est tout
aussi inexact de prétendre que les historiens de l' École des Annales ont négligé les dates et les périodes capitales de
l'Histoire. Dans son ouvrage «Philippe II
et la Méditerranée», rédigé de mémoire en captivité pendant la 2e Guerre
Mondiale, Fernand Braudel a
consacré un long chapitre intitulé
: "Lepante, 1571",
date qu'il estime capitale dans la compréhension de l'Histoire de la
Méditerranée.
D’autre part, le système des options,
nouvellement introduit, aboutit à une Histoire à trous, lacunaire, atomisée,
qui rend beaucoup plus difficile l'assimilation par les élèves de la
chronologie, "cette juste représentation de la profondeur
historique". Ainsi, le nouveau programme de première est édifiant. Il repose sur un système de modules non pas
chronologiques mais thématiques, qui peuvent être disposés dans n'importe quel
ordre: «La guerre au XXe siècle»; «Le siècle des totalitarismes»; «Les Français
et la République»... Avec ce système, comment expliquer le rôle déterminant de
la Première Guerre mondiale dans la genèse des totalitarismes, la guerre civile
espagnole, et même la Seconde Guerre mondiale. "Sans chronologie, l'Histoire est une langue sans
grammaire. Sans elle, notre connaissance du passé est vouée à l'anachronisme,
cette incapacité d'inscrire un événement ou un personnage dans son contexte.
Sans elle, nous sommes voués à l'amnésie..."
Alors, amnésie du passé, c.à.d. la
"fin de l'Histoire", souhaitée par certains après la chute du mur de
Berlin ? cf. La Fin de l'Histoire et le dernier
homme (1992).
Cela paraît hautement improbable - la
dernière décennie a été particulièrement fertile en événements douloureux. Francis Fukuyama, dont il faut rappeler la doctrine qui tient pour inéluctable l’avènement du capitalisme triomphant et la fin des idéologies,
ne fut pas le premier
à prophétiser la fin de
l’Histoire. Avant lui, le marxiste
Alexandre Kojève, au milieu du XX°, avait fait le même
pari. Et à chaque fois l'Histoire est revenue au premier plan.
En revanche, avec l'introduction de ces
nouveaux programmes, c’est probablement la fin de notre Histoire nationale en
tant que matière d’enseignement.
S'il y a dans les instructions de 2008
et de 2011 des objectifs avoués (voir plus haut, les propos de Laurent Wirth),
il y a aussi des buts cachés.
- On n'étudie plus "les invasions
barbares" et le mécanisme de la destruction de l'Empire romain : craintes
par rapport à l'actualité ?
- Exit les "grands hommes "
(Saint-Louis, François 1er, Louis XI, Louis XIV, etc ...) :
•
ainsi François 1er : il a promulgué
l'ordonnance de Villers-Cotterets en 1539, qui rend le François obligatoire pour les actes d'état-civil. Il est de bon
aloi depuis de longues années de critiquer la notion d’Etat, dont l’un des
fondements est la langue commune (le Français). Pour la remplacer par un idiome
passe-partout, l’anglais commercial ?
•
pour bien accréditer la fin des idéologies et le triomphe du libéralisme,
faut-il s'étonner de voir la Révolution de 1848 et la Commune de
Paris évacuées des programmes ? Mais plus plus étonnant encore, même les
grandes figures républicaines (Gambetta, Jules Ferry, Hugo) sont virées ! (NB.
Signalons que le régime de Vichy se résume à une simple « négation » de la République). Tout ce qui n’est pas politiquement
correct ne mérite pas une étude approfondie !
-
Les conflits meurtriers du XX°s. sont noyées dans un thème
intitulé : « La guerre au XX°s. ». Pourquoi ? le but recherché ne
serait-il pas de banaliser les conflits franco-allemands en particulier, de
gommer des souvenirs douloureux pour réussir la construction d’une Europe
libérale ? C’est en tout cas une lecture possible du Bulletin officiel spécial du 19 avril 2010 : minimiser tout ce que le XX°s. avait de “tragique”, pour reprendre l’expression d’Eric J. Hobsbawm (cf. L'Âge des extrêmes - Le Court Vingtième
Siècle 1914-1991), pour mieux imposer aux peuples, sous
couvert de réconciliation générale, une idéologie capitaliste mondialisée.
-
L’objectif
final de ce train de mesures pourrait être : Éduquer les peuples de telle façon
qu’ils soient prêts à accepter sans rechigner une nouvelle «Weltanschauung». Ainsi, apparaîtrait un homme nouveau ignorant son passé et acceptant sans esprit critique
son avenir …
Certes,
l'enseignement de l'Histoire a besoin d'évoluer dans le sens d'une plus grande
modernité, voire de s’ouvrir davantage sur le monde. Mais si cette évolution doit
prendre le même chemin que la World Music,
c.à.d. un "truc" sans odeur et sans saveur, censé plaire au plus
grand nombre, et surtout si elle éradique toute critique en uniformisant les
esprits, alors je crois que notre spécificité culturelle est en grand danger.
Comment résister ? Tâche très difficile. Peut-être, en paraphrasant Valéry,
"toute civilisation est mortelle", faudra-t-il nous résigner un jour
que la civilisation française finira par se diluer dans ce grand magmas
sirupeux, appelé mondialisation ? ...
Sources :
Le Monde
diplomatique (février 2011) – article du professeur Chambaz très instructif.
Le Figaro
Magazine du 26/08/2011 – article présentant « Altermanuel
d'histoire de France » (Perrin), de l’historien Dimitri Casali
France
Soir du 26/08/2011 – article consacré au collectif « Notre Histoire forge notre Avenir »
Mes
Opinions : L'histoire de France assassinée dans l'enseignement (5637
signatures)
Ce qui se passe actuellement aux plus hauts niveaux est extrêmement grave ; et pas uniquement à l'EN. Je travaille à la Justice et les dégâts y sont tout aussi importants ; en tout cas la vision de la société future par nos gouvernants n'est plus rétrograde... c'est la dégringolade !
RépondreSupprimerMerci pour tes articles bien renseignés.