Michel Onfray travaille à son prochain livre. Pour ce faire, il a lu l'œuvre complète d'Albert Camus, les biographies qui lui sont consacrées et les correspondances. Fauché par la mort à l'âge de 47 ans, il a passé un temps considérable à répondre à la haine répandue par les journaux qui se déchaînaient contre ses livres, coupables de dire la vérité en un temps où l'on préférait le mensonge avec Sartre que la vérité avec lui.
Atterré par la bassesse des attaques venues de toute part : chrétiens qui le trouvent athée, athées qui l'estiment trop chrétien, gens de gauche qui l'imaginent à droite, gens de droite qui le savent de gauche, ratés qui n'en peuvent plus de sa réussite, plumitifs minables qui carburent au ressentiment, habituels médiocres lanceurs de polémiques, Michel Onfray affirme que Camus a accumulé contre lui, à la manière d'un fétiche vaudou, toute la médiocrité de l'époque, mais peut-être aussi toute la médiocrité de la nature humaine... Que reprochaient donc si haineusement les détracteurs à l'époque à ce véritable résistant à l'occupation allemande - ce qui ne fut pas le cas de J.P. Sartre et de S. de Beauvoir ? Que Camus, l'anticolonialiste, ne pouvait pas envisager l'Algérie, sa patrie, sans les Européens ! Qu'il rejetait le terrorisme aveugle ou les crimes perpétrés par le stalinisme !
Mais, qui se souvient encore d'Aimé Patri, Marcel Moré, Pierre Hervé, Pierre Lebar, Gaston Leval, aux basses attaques desquels Camus consacre un précieux temps à répondre point par point ? Attardons-nous sur un texte intitulé Le Temps des meurtriers (1949), dans lequel l'auteur du Mythe de Sisyphe s'interroge sur l'avenir de l'Europe après les camps nazis et marxistes-léninistes, sur le nihilisme et la fin des valeurs, sur ces penseurs de Saint-Germain-des-Prés va-t-en-guerre jamais avares du sang des autres, mais incapables d'offrir le leur pour telle ou telle cause transformée en fonds de commerce, sur la déplorable passion des penseurs pour l'abstraction qui affichent un mépris total pour le réel le plus concret, sur la fascination des intellectuels opposés à la peine de mort, mais qui la défendent tout de même pourvu qu'elle soit infligée au nom de la prétendue bonne cause du progrès marxiste .... (cf. la note ci-dessous).
Quel intellectuel ne souscrit pas aujourd'hui à cette scie prêtée (à tort semble-t-il à Voltaire - cf. ZINEB DRYEF | Rue89 |) : "Je ne suis pas d'accord avec vous, mais je me battrai toute ma vie pour que vous puissiez vous exprimer", avant d'envoyer un formidable coup de gourdin sur la tête de celui qui ne pense pas comme lui puis d'activer les réseaux d'amis qui, dans les médias, pulvérisent celui qui ne dit pas comme eux ? Les journalistes, si souvent coupables d'inceste intellectuel, prennent ces temps-ci la plume pour dénoncer une poignée d'autres journalistes (Zemmour, Robert Ménard, Elisabeth Lévy ...) tous coupables d'attentats à la pensée correcte. "On ne résoudra pas le problème, écrit Michel Onfray, en transformant ses adversaires en ennemis, en les stigmatisant comme pétainistes, néofascistes, crypto-vichystes, sous-marins de Le Pen et autres noms d'oiseaux qui dispensent de débattre". En ces temps de mondialisation libérale frénétique, que veut-on ? Que l'idéologie dominante, avec son credo à réciter sous peine de bûcher médiatique, s'impose de gré ou de force dans les opinions publiques : seuls, Le Nouvel Obs., Le Monde, ou Libé. etc ... - à gauche - Le Figaro, L'Express, ou Les Échos, etc ... - à droite - possèdent la Vérité, Vérité relayée par des émissions de télé consacrées à la politique; ainsi Calvi dans son émission C dans l'air sur la Cinq n'invite majoritairement que les partisans de la pensée unique. Ce sont eux qui décident du catéchisme. Ce sont eux qui affûtent, pour reprendre l'expression de Michel Onfray, "la guillotine médiatique" ...
NOTE :
Dans son livre "Retour sur le XX°s." Éd. Héloïse d'Ormesson 2010 p.233, note 1, Judt signale que Jean-Paul Sartre, en 1961, dans sa Préface aux Damnés de la terre de Frantz_Fanon écrit à propos de la violence des guerres coloniales : "Abattre un Européen, c'est faire d'une pierre deux coups; (c'est) supprimer en même temps un oppresseur et un opprimé; (...) restent un homme mort et un homme libre ..." (à rapprocher avec "il est des moyens qui ne s'excusent pas", in "Lettres à un ami allemand" de Camus écrites en juillet 43 et publiées par Gallimard en 1948 et complétées en 1972)
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