Lettre d’une des principales figures de la droite
culturelle française
Cher Frédéric Martel,
C’est avec un vif intérêt que j’ai lu votre livre sur
le « sarkozysme culturel ». J’ai apprécié le sérieux de votre travail
d’enquête et goûté la subjectivité délibérée de votre jugement. Malgré quelques
réserves de détail, je pourrais dire que je suis dans l’ensemble d’accord avec
vous. Cependant, je dois vous confier que je suis d’une certaine manière plus
sévère que vous
Sauf des circonstances officielles (remises de
décorations) où nous nous sommes serrés la main, je n’ai eu aucun contact avec
Sarkozy depuis qu’il est à l’Elysée. En revanche, je l’ai bien connu avant,
sans être pour autant de ses amis. Je crois avoir été l’un des premiers à
déceler en lui une grande ambition et un vrai talent. Je l’ai fait inviter […]
quand il était encore peu connu et je l’y ai reçu plus d’une fois à déjeuner.
Je suis allé le voir à la mairie de Neuilly à la fin des années 1990 alors
qu’il était dans l’opposition pour le sensibiliser aux problèmes [de la
culture] ; et tant au Budget qu’à l’Intérieur, devenu ministre, il m’a
aidé dans le combat que j’ai mené dans le domaine [culturel]. J’ai pu alors
constater sa capacité d’écoute et son professionnalisme. Je comprends donc qu’en
dépit de vos critiques sévères et justifiées sur sa personnalité et son style,
vous reconnaissiez ses mérites. J’ai voté pour lui au second tour en 2007 car
je considérais qu’il était le seul qui puisse « bouger les lignes »
et faire des réformes difficiles. La suite l’a prouvé et il m’a en outre
heureusement surpris dans le domaine extérieur, notamment sur le plan européen.
Cela dit, je suis aujourd’hui au nombre de ceux qui ne
peuvent plus le supporter : sa vulgarité, sa versatilité, son caractère
imprévisible, son omniprésence m’exaspèrent. Quant à son attitude par rapport à
la culture, elle le condamne à mes yeux. Vous avez vous-même noté tous ses
manques, ses défaillances, mais en même temps, vous faites preuve sur ce plan
d’une certaine indulgence que je ne partage pas. Non seulement, il est le moins
« cultivé » des Présidents de la Vème République, mais il n’a pas
compris que « la culture » n’était pas seulement un secteur de
l’action gouvernementale mais une dimension de l’action publique dans son ensemble
et que, dans notre République, elle impliquait un engagement personnel du chef
de l’État. J’ai eu la chance d’avoir un rapport personnel avec chacun de ses
prédécesseurs, à l’exception du Général ; et j’ai pu voir, surtout avec
Pompidou et Mitterrand, mais même avec Giscard et Chirac, qu’au-delà de leurs
« grands projets », la culture était pour eux, non seulement une
délectation intime, mais un domaine où ils avaient une impulsion à donner et un
rôle actif à jouer. Tel n’est absolument pas le cas de Sarkozy ; et le
choix même du sympathique Frédéric [Mitterrand] le montre bien car son absence
totale de poids politique affecte gravement ce qui reste de politique
culturelle. Quant à la culture de bachotage que lui offre Carla et qu’il étale
[avec une] complaisance de parvenu, elle ne trompe personne sur son sérieux.
Je vais même plus loin. Ce que je reproche le
plus à Sarkozy, c’est l’absence totale chez lui d’une « culture
d’État ». Cet homme est incontestablement un virtuose dans l’art du
Pouvoir, de sa conquête et, à bien des égards, de son exercice, mais il est
complètement dépourvu du sens de l’État. La manière dont il discrédite,
court-circuite et désavoue ses ministres, à commencer par le Premier d’entre
eux, son zèle ostentatoire à s’occuper de tout en sont autant de preuves. A
cela s’ajoute son absence totale de culture historique ; il semble ne pas
savoir que si composite dans son peuplement et sa géographie qui la fait, seule
en Europe, participer à la fois à l’Europe du Nord et à l’Europe du Sud, la
nation française n’a pu se constituer, depuis au moins Philippe Le Bel, que par
la volonté de l’État. Si, depuis 1789, nous avons connu vingt régimes, avec des
révolutions, des coups d’États, des abdications, il y a une continuité de
l’État, une mémoire d’État, une culture d’État qui nous ont sauvés du désastre.
[…] Tout le monde sait ça dans le monde politique, sauf Nicolas Sarkozy. Et les
quelques progrès qu’il a pu faire dans son comportement public, en effet moins
débridé qu’au début, ne changent rien à ces graves insuffisances.
Je serais à l’occasion heureux de parler de tout cela
avec vous. Merci en tout cas de ce beau travail d’enquête et de
réflexion ».
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